Colloque 2006

 

Résumés des communications

 8h45 Dany Roberge (Laval) : « Les extases de Rousseau à l’île de Saint-Pierre : entre voyage et immobilité »

1762. Les autorités sonnent l’hallali : Rousseau, avec la publication de l’Émile, vient de déchaîner la haine de ses ennemis, une haine qui, pour avoir été longtemps latente, s’abat maintenant sur lui avec une implacable dureté, une absolue violence. C’est une véritable chasse à l’homme qui s’organise alors, dont Rousseau figure la bête traquée. Il devra quitter Paris, fuir la société des hommes, endurer les persécutions de l’exil – il sera même lapidé à Môtiers.

De cette épreuve terrible, Rousseau garde une blessure vive, dont témoignent ses Confessions et, plus tard, ses Rêveries du promeneur solitaire. Toutefois, dans ce dernier texte, au lieu de s’appesantir sur le trauma de son expérience, il préfère se souvenir de son séjour à l’île de Saint-Pierre. C’est à ce lieu transitoire, à cette station bienheureuse qui marque une pause dans la vertigineuse fuite en avant de Rousseau, que nous nous intéresserons dans le cadre de notre communication.

 9h15 Rachel Dekker (Victoria) : « Ile et esclavage » l’emprisonnement social au 18e siècle »

L’île représente par sa nature à la fois le motif du voyage et celui de l’enfermement. Marivaux (L’île des esclaves-1725) et Olympe de Gouges (L’esclavage des noirs-1792) se servent du cadre insulaire comme lieu d’action de leur pièce. Ayant tous les deux choisi comme thème celui de l’esclavage en tant que symbole assez osé pour traiter de la situation politique et sociale de leur époque contemporaine, Marivaux et de Gouges utilisent les limites du cadre insulaire pour corroborer ce que le symbolisme cherche à transmettre : l’emprisonnement social dans une relation d’inégalité entre les différents niveaux et groupes sociaux. Je propose d’explorer, par l’analyse textuelle, la relation entre la thématique de l’esclavage, le cadre insulaire et la société contemporaine des deux écrivains qui se reflète explicitement dans ces deux pièces.

 9h45 Peter Benezra (Calgary) : « Vraisemblance des modes de voyage dans L’Autre Monde de Cyrano de Bergerac »

Il semblerait au premier abord que les modes de voyage dans L’Autre Monde de Cyrano de Bergerac présenteraient un défi pour n’importe quelle définition utilisée de la vraisemblance. Je vais néanmoins soutenir que Cyrano s’employait à donner à ces modes de transport, dans les délimitations lui permises par le genre de la littérature de voyage, une empreinte de vraisemblance. Le terme ‘vraisemblance’ s’utilise ici dans deux sens principaux : d’abord comme une cohérence interne dans un monde qui peut exister dans les limites de certaines suppositions esquissées par l’auteur ; et puis comme un appel à la croyance du lecteur pour qu’il accepte l’univers fictif comme un lieu vraiment possible, même si peu probable. Il est quand même clair que Cyrano n’a pas ménagé ses efforts pour créer une cohérence interne fondée sur une base solide de connaissances scientifiques et philosophiques de son époque.

 10h15 Virginie Dufresne (McGill) : « La tolérance universelle, idéal utopique de La Découverte australe »

Si Rétif de La Bretonne (1734-1806) doit assurément l’éclat de sa réputation à ses écrits libertins, les ouvrages didactiques que comporte sa volumineuse production littéraire recourent aussi à cet imaginaire fantaisiste qui caractérise l’ensemble de son œuvre.

Dans la mesure où l’on intègre néanmoins La Découverte australe (1781) au corpus des récits utopiques, une réflexion s’impose sur la nature du meilleur des mondes proposé par cette « nouvelle très-philosophique ». Bien qu’elle ne présente pas une utopie conforme aux conventions ordinaires du genre, cette « série d’aventures en pays imaginaire » (Testud) permet d’en énoncer la condition de possibilité : la tolérance universelle, ou-topos de l’Ancien Régime et eu-topos de la philosophie des Lumières.

 11h15 Linda Bergeron (Victoria) : « Gérard de Nerval : « voyage austral » au cœur du mysticisme »

La présente communication propose d’explorer un texte de Gérard de Nerval écrit en 1855, Aurélia. L’idée, ici, est de tenter d’expliquer la structure de la succession de rêves présente dans le texte, en examinant la théorie et les catégories du voyage astral et en se penchant sur les écrits de Swedenborg (1688-1772), qui esquissent ce mouvement inter dimensionnel et sont une des lectures revendiquées de Gérard de Nerval. À partir de ces théories, la notion de voyage sera mise en lumière en dessinant les pourtours du mysticisme. Finalement, en confrontant l’histoire religieuse et littéraire, une typologie du voyage par le rêve sera dégagée de l’œuvre.

 11h45 Michael Kyle (Victoria) : « Voyage et retour en littérature : Flaubert et le modèle médiéval »

La légende de Saint Julien l'hospitalier est un conte de Gustave Flaubert paru en 1876, dans lequel l'histoire de Julien, saint médiéval, est racontée à travers les vitraux d'une église. Lorsque nous considérons le texte de Flaubert, nous relevons qu'il joue sur mouvement et statisme. L'évolution psychologique du protagoniste est étroitement liée à ses voyages, mais cette évolution n’est point fluide ; chaque voyage est interrompu par un arrêt. En outre, cette opposition est renforcée davantage par la présence des vitraux.

L’histoire est située au Moyen Âge, mais est-il vrai qu'avec Saint Julien, Flaubert exploite certaines conventions de la littérature médiévale? Au 12e siècle, Marie de France a composé un lai, Milon, où tous les personnages voyagent ; voyage et séparation sont ici les moteurs narratifs. Quelle est la signification du voyage dans les deux textes? Pourrions-nous dire que, dans Flaubert comme dans Marie, il a une fonction similaire?

 12h15 François Masse (McGill) : « A. O. Barnabooth de Valery Larbaud, ou quand le désir de voyager devient désir d’inertie »

A.O. Barnabooth, le héros du roman éponyme de Valery Larbaud (1913), est un jeune homme richissime qui entame en Europe un voyage de quelques mois et dont les principaux faits nous sont rapportés dans son « Journal intime ». De Florence à Londres, Barnabooth s’adonne à une existence de chambres d’hôtel et de ballades à bord de voitures de luxe qui n’ont pour effet que d’abolir la réalité des espaces parcourus. Ainsi vécu, le voyage s’avère un voyage pour rien, un parcours rendu nul par le confort qui, selon Paul Virilio, nous prive « des réalités physiques du corps propre comme de celles des lieux traversés. » (L’horizon négatif) Autant dire que le désir de voyager, chez Barnabooth, est en réalité désir d’inertie, les moyens de transport modernes créant moins des conditions de déplacement que des conditions d’immobilité.

 13h45 Karen Aldrich (Victoria) : « Le cloître et la lettre : lecture de la correspondance d’Héloïse et d’Abélard »

La réalité de l'enfermement peut prendre plusieurs formes : physique, spirituelle, matérielle. Pour Héloise et Abélard, célèbre couple du XIIe siècle, le confinement est à la naissance de l'écriture : leurs lettres, échangées après leur séparation et lorsqu'ils sont, chacun, à la tête d'une abbaye, ne visent pas à dépasser l'absence ni à la nier, pas plus qu'elles ne veulent briser l'enfermement. Au contraire, elles s'inscrivent dans l'espace clos de l'abbaye et en définissent les règles de la vie hors du monde.

La lettre, moyen de communication à la fois personnel et public, est un espace de liberté littéraire : c'était parfois la seule façon qu'avait la femme de sortir dans le monde, parfois la seule possibilité qu'avait un homme d'entrer en communication avec une femme érudite, qui n'était pas son épouse. Ainsi, la lettre doit sortir de l'enfermement ; ici, elle se métamorphose en une célébration du même enfermement et devient le moyen d'une fructueuse libération intérieure.

 14h15 Elise Blumet (UBC) : « Tombeau littéraire d’un aéroport : La Rage de Louis Hamelin et Lignes aériennes de Pierre Nepveu »

Si les aéroports font généralement figure de temples de la mobilité et du déplacement moderne, celui de Mirabel semble être l'exception qui confirme la règle. Gigantesque édifice rapidement abandonné, l'aéroport construit au nord de Montréal peut être conçu comme métaphore de la transition des valeurs passéistes (attachement à la terre ancestrale et à la sédentarité) à la modernité, figurée par la mobilité et la diversité des « ailleurs ». Ce paradoxe entre sédentarité et nomadisme cristallisé autour de l'aéroport apparaît dans deux œuvres littéraires québécoises contemporaines. Comment le roman La Rage (1989) de Louis Hamelin et le recueil de poèmes Lignes aériennes (2002) de Pierre Nepveu représentent-ils Mirabel non comme un lieu de mémoire, mais comme un lieu voué à la spatialité sous toutes ses formes? Pérégrinations, passages, aménagement architectural et paysager : comment toutes ces données prennent-elles forme dans l'écriture et ouvrent en retour une réflexion sur la spatialisation de l'écriture?

 15h15 Laëtitia Desanti (McGill) : « Nathalie Sarraute et Georges Perec : un voyage romanesque au pays des objets »

Le roman, libre de se déployer sans limites de temps ni d’espace, n’a de cesse d’explorer de nouvelles contrées et semble ainsi constituer une invitation au voyage. Déjà maintes fois explorée par le passé, la richesse du pays des objets que Sarraute ou Perec nous incitent à visiter attire encore fortement. Seulement, la soif de découvrir ce pays trop fourni finit par déformer l’espace romanesque en apparence solide. Grisé par l’accumulation des objets, le lecteur est tiré hors du réel vers d’autres possibles du monde, lesquels lui permettent de s’évader bien au-delà des frontières du roman. Se crée alors une tension entre la présence immobile du paysage-objet et l’émergence d’un espace virtuel et poétique insaisissable. Or, c’est cet espace que les romanciers tâcheront de déployer dans les textes où l’apparente limitation du cadre apporte en fait une liberté immense : celle du voyage romanesque.

 15h15 Nicky Hodgson (Victoria) : « Voyage et quête identitiare dans La route de Chlifa et Cassiopée ou l’été polonais de Michèle Marineau »

Dans La route de Chlifa, de Michèle Marineau, le jeune protagoniste quitte le Liban pour aller au Québec. Une fois arrivé, il se renferme sur lui-même pour affronter non seulement les sentiments de dépossession, de dépaysement et d’adaptation suite à l’immigration, mais aussi les tragédies de son premier voyage. Ses déplacements géographiques aboutissent à un voyage interne et finalement à la conscience de ses propres métamorphoses.

Je propose d’explorer la relation entre la thématique du voyage et la quête identitaire du protagoniste dans La route de Chlifa. En comparant ce roman à Cassiopée ou l’été polonais, le premier roman de Marineau, je discuterai des stratégies narratives, de la construction des personnages et de la nature des voyages dans les deux romans, afin de démontrer l’évolution de la fonction du voyage dans l’œuvre de Marineau.

16h15  Louise Dupré (UQAM) « Espaces de la mémoire: enracinement et déracinement »

Poète, romancière, essayiste et professeure à l’Université du Québec à Montréal, Louise Dupré est une figure majeure de la littérature au féminin et de la critique féministe tant au Québec qu’àl’étranger. Auteure de nombreux ouvrages, elle joue à n’en pas douter un rôle unique et important dans le développement de la réflexion féministe contemporaine. Les nombreux prix et distinctions reçus jusqu’à maintenant témoignent avec éloquence de la qualité de son travail et de son implication dans la vie littéraire québécoise.

En terminant, soulignons quelques titres évocateurs de la diversité qui caractérise le travail de Louise Dupré :

  • Une écharde sous ton ongle (poésie, le Noroît, 2004)
  • Simone Routier. Comment vient l’amour et autres poèmes (essai, les Herbes rouges, 2005)
  • Stratégies du vertige, Trois poètes : Nicole Brossard, Madeleine Gagnon, France Théoret (essai, Editions du remue-ménage, 1989)
  • Sexuation, espace, écriture : La littérature québécoise en transformation (essai Nota bene, 2002)
  • La memoria (roman, Editions XYZ, 1996)


Remerciements

Nous remercions Aaron Devor, Doyen de la Faculté des études graduées ; Claire Carlin, Vice-Doyenne de la Faculté des Humanités ; et l’Association des étudiant-e-s de cycles supérieurs de l’Université de Victoria (UVic Graduate Student Society), pour leur soutien financier. Nous exprimons aussi notre vive connaissance à tous les membres du Département de français (professeur-e-s, étudiant-e-s et secrétaires) qui nous ont aidés dans l’organisation de ce colloque.

Le comité organisateur :

  • Linda Bergeron,
  • Rachel Dekker,
  • Nicky Hodgson
  • Melanie Langman
  • Hélène Cazes,
  • Yvonne Hsieh